Annoter le web

Si l’idée même d’annoter le web n’est pas nouvelle – elle existait dès les débuts d’Internet (Annotating the scholarly web) – elle connaît depuis quelques années un regain d’intérêt avec plusieurs projets favorisant le développement et la mise en oeuvre d’outils d’annotation.

Le groupe de travail du World Wide Web Consortium (The W3C Web Annotation Working Group) a d’ailleurs publié ses recommandations récemment, le 23 février 2017, afin de normaliser les pratiques et de soutenir la création de plateformes favorisant ces échanges collaboratifs.

Il a élaboré un ensemble de spécifications et de normes pour la mise en place d’une architecture interopérable et partageable. Trois ensembles de spécifications ont été établis :

Web Annotation Data Model qui décrit le modèle structuré de données d’annotation web

Web Annotation Vocabulary qui décrit le vocabulaire qui sous-tend le modèle de données d’annotation web (ensemble des classes RDF notamment)

Web Annotation Protocol qui décrit les mécanismes de transmission de l’information pour la création et la gestion des annotations

Voir la présentation du W3C Web Annotation :

À quoi cela sert-il ?

Annoter le Web peut servir, entre autres, à évaluer une ressource, à enrichir et commenter le contenu d’un document, ou encore à favoriser les échanges et les collaborations. Cela permet aussi à un lecteur de découvrir de nouveaux contenus et de nouvelles communautés de travail.

À la différence d’un simple commentaire qui vient se placer à la suite du texte, les annotations donnent à l’utilisateur la possibilité d’agir en contexte, en sélectionnant la partie du texte qu’il souhaite annoter. Les annotations viennent se positionner sur une couche qui se place au-dessus de la couche existante. Elles enrichissent le contenu de la ressource sans l’altérer.

L’un des avantages des annotations web réside dans le fait que ces annotations sont décentralisées. Étant donné qu’elles n’apparaissent pas sur le contenu du document lui-même, le lecteur, devenu créateur de contenus, a plus de flexibilité concernant, d’une part, les lecteurs ou la communauté de lecteurs avec qui il souhaite partager ses annotations et, d’autre part, la politique éditoriale.

L’éditeur du contenu original devrait toutefois être informé, par le service d’annotation, de l’existence d’une annotation – lorsque celle-ci est publique (recommandations du W3C). Il peut ainsi évaluer la valeur de cette annotation, notamment en consultant le profil de la personne qui l’a rédigée et, si cela lui semble pertinent, récupérer le contenu de l’annotation – à partir du service d’annotations grâce à une API – afin de le publier sur sa propre ressource, sous forme de commentaire par exemple.

Les services d’annotation peuvent également offrir une vue élargie sur un ensemble de documents et informer l’utilisateur de nouvelles annotations sous forme de flux. Il est en effet possible de s’abonner à des flux d’annotations : lorsque le lecteur découvre un contributeur, un sujet ou une communauté qui l’intéresse il peut demander à suivre leurs annotations.

L’outil d’annotation Hypothesis

Présentation

Il existe de nombreux outils d’annotation. Bien qu’ils fonctionnent tous plus ou moins sur le même principe, Hypothesis se démarque par des fonctionnalités plus vastes et parce que la ressource est en accès libre et gratuit.

Hypothesis a été fondé en 2011 à San Francisco, Californie. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif, affichant un objectif ambitieux : « To enable a conversation over the world’s knowledge » (https://hypothes.is/about/). Le fondateur d’Hypothesis, Dan Whaley, appuie la mission de son entreprise sur 12 principes, dont l’accès libre et gratuit, la neutralité, la transparence, ou encore la conservation.

Voir la présentation de Hypothesis :

Cas d’utilisation

Hypothesis cherche plus spécifiquement à s’adresser au milieu universitaire et à proposer des services adaptés à ce public. Sur le site web d’Hypothesis, une section entière est d’ailleurs consacrée à l’usage qui en est fait dans certains domaines scientifiques (bioscience en particulier).

Hypothesis collabore ainsi avec des éditeurs ou des revues scientifiques, comme eLife ou The Journal of electronic publishing (JEP). Ce dernier invite d’ailleurs ses lecteurs à annoter les articles publiés dans la revue afin de favoriser les échanges d’idées et de points de vue au sein du lectorat. Une courte procédure est accessible sur le site afin que les lecteurs s’approprient plus facilement l’outil pour devenir, à leur tour, créateurs de contenu (New Feature: Article Annotation with Hypothes.is).

La directrice du département Bioscience de Hypothesis, par ailleurs chercheuse en neuroscience, témoigne dans un billet de blog paru le 27 mars 2017, de la façon dont les annotations changent – ou pourraient changer –  substantiellement les pratiques de publication scientifique. Par extension, les annotations pourraient devenir une nouvelle façon de faire de l’évaluation par les pairs (The Future of the Internet and Peer Review).

Notons également que l’outil d’annotation est utilisé par les professeurs pour leurs activités d’enseignement. À titre d’exemple, JSTOR Lab, Poetry Fundation et Hypothesis ont collaboré pour proposer aux professeurs d’exploiter un nouvel outil utilisable dans le cadre de leur classe, en accès restreint donc. Il s’agit de proposer aux étudiants d’annoter et de partager des commentaires à propos de poèmes sélectionnés par les professeurs et de faire des liens entres différents ressources présentes dans le JSTOR (voir le billet à ce sujet).

D’autres exemples d’utilisation sont disponibles sur le site d’Hypothesis.

Il faut toutefois souligner que Hypothesis est un outil en développement et que des améliorations sont à apporter notamment dans le contexte de publication scientifique. Le format Pdf y est très utilisé. Or, dans quelques cas, le format n’est pas reconnu par le système d’annotation, il faut alors télécharger un composant JavaScript afin de pouvoir annoter le fichier. Par ailleurs, en pratique, un fichier Pdf n’est pas systématiquement lu dans un navigateur, il est souvent téléchargé sur le poste de travail, dans ce cas la fonction d’annotation n’est plus possible.

Fonctionnement

Lorsqu’une page est annotée, Hypothesis lui attribue une URL unique pour qu’elle soit partagée et consultée facilement et de façon pérenne.

Les annotations sont publiques par défaut mais elles peuvent être privées si l’utilisateur le souhaite. Elles sont chargées à partir du service d’annotation lui-même et ancrées dynamiquement dans le contenu spécifique de la page. Toutes les annotations sont sauvegardées sur les serveurs de Hypothesis. En cas de message inapproprié et abusif, la modération se fait par Hypothesis mais c’est à l’usager de signaler un éventuel abus en envoyant un message à Hypothesis (via une adresse courriel spécifique).

Les annotations sont indexées. L’utilisateur peut donc chercher des annotations par mots clés par exemple, grâce au moteur de recherche interne. Bien sûr il ne pourra chercher que parmi les annotations qui lui sont accessibles. Lors de la consultation des résultats, il est possible de visualiser le profil de la personne qui est l’auteur de la ou des annotations recherchées. En effet, chaque utilisateur peut avoir un profil détaillé sur Hypothesis. Un groupe d’usagers peut, lui aussi, avoir sa propre page d’accueil.

Il est possible d’inviter des lecteurs à consulter les annotations. Leur inscription au service n’est pas indispensable dans ce cas. En revanche, ils devront s’inscrire s’ils souhaitent eux-mêmes commenter le document.

Les annotations apparaissent sur un volet à droite de la page qu’il suffit alors d’ouvrir ou de fermer grâce à la flèche prévue à cet effet :

Politique

Hypothesis a établi une politique d’utilisation explicitant les droits et les responsabilités des usagers ainsi que l’engagement de Hypothesis vis-à-vis du service offert (Terms of Service). Cette politique indique notamment que l’usager est responsable de ce qu’il publie, et que – à l’exception des annotations faites dans le cadre d’un groupe privé – les annotations font partie du domaine public ou, le cas échéant, sont sous licence Creative Commons.

Prise en main

1. Installer l’outil

Il existe plusieurs façons d’installer Hypothesis. On peut installer une extension pour Chrome (1). Pour les autres navigateurs (Firefox, Opera, Safari, Internet Explorer), on utilisera un bookmarklet (3) (marque-page qui se place dans les favoris et que l’on active pour faire apparaître la fenêtre d’annotation). On peut aussi activer l’outil en indiquant l’URL de la page (2) dont on souhaite consulter les annotations, via un proxi (afin de récupérer le contenu de la page tout en utilisant le service d’annotation ; le proxi s’adresse principalement aux personnes qui n’ont pas de compte Hypothesis ou aux personnes ne pouvant utiliser les options 1 et 3). Enfin il est aussi possible d’utiliser un code JavaScript que l’on ajoute à son site web (4).

Voir les quatre façons d’installer Hypothesis (diaporama de présentation sur le site de Hypothesis) :

2. Créer un compte

L’installation seule de l’outil permet de consulter les annotations existantes. Pour annoter un document publié sur le web et bénéficier des services de Hypothesis, il faut avoir un compte utilisateur. La création d’un compte est rapide puisqu’elle ne requiert que trois informations : un nom d’utilisateur, un courriel valide qui permettra l’activation du compte et un mot de passe.

Il est également possible, grâce à son compte utilisateur, de créer un groupe afin de partager des annotations dans le cadre d’un cercle restreint. Lorsqu’il annote un document, l’utilisateur peut donc choisir son audience (publique, privée ou restreinte à un groupe).

 

3. Annoter

Une fois le compte créé, l’utilisateur pourra alors intervenir sur n’importe quelle page web. Il peut le faire de quatre façons :

  • en surlignant la partie du texte qui l’intéresse ou qu’il souhaite mettre en exergue (à noter que les surlignements ne peuvent pas être partagés)
  • en annotant une partie du texte qu’il aura préalablement sélectionnée, comme illustré ci-dessous :

  • en annotant une page sans avoir fait de sélection préalable, dans ce cas il s’agit d’une remarque qui concerne la ressource dans son ensemble
  • en répondant ou commentant une annotation existante

Les annotations peuvent être accompagnées de mots clés. Il est également possible d’intégrer dans l’annotation une image, un hyperlien ou même une vidéo.

4. Consulter les annotations

Pour consulter les annotations, il faut que Hypothesis soit activé (de l’une des façons indiquées dans le point 1. Installer l’outil).

Les parties annotées sont surlignées en jaune, comme on le voit sur la copie d’écran ci-dessous. Le volet des annotations indique, dans sa partie grisée verticale à gauche, le nombre d’annotations que l’on va trouver au fil du texte. Lorsque l’on clique sur un passage qui a été annoté, on visualise le contenu, la date et le nom de l’auteur.

5. Récupérer le contenu des annotations

Selon les recommandations du groupe de travail du W3C, l’éditeur – qui n’est pas nécessairement utilisateur de l’outil et qui ne possède pas nécessairement un compte – devrait néanmoins recevoir une notification de la part du service d’annotation l’informant que le contenu qu’il a publié a été annoté. Comme vu précédemment, cela lui permettrait notamment de récupérer le contenu de l’annotation – s’il le juge pertinent – et de l’intégrer au contenu publié. Mais cette fonctionnalité qui consiste à envoyer une notification n’est pas encore disponible avec Hypothesis (elle ne l’est pas non plus avec les autres outils existants).

Il est toutefois possible de faire une recherche avec l’URL de la page, le nom de l’usager, du groupe, ou encore par mot clé, grâce au moteur de recherche de Hypothesis, afin de prendre connaissance d’une annotation et par la suite d’en récupérer le contenu. Grâce à l’API de Hypothesis, il est possible d’exporter les annotations repérées sous différents formats (html, csv, text, markdown) :

Un utilisateur de Hypothesis pourra également connaître les dernières annotations en se connectant à son compte afin de consulter la liste des annotations :

Avec Chrome, l’utilisateur est également informé de nouvelles annotations via un indicateur qui vient s’ajouter à l’icône de Hypothesis sur la barre des tâches (indique le nombre d’annotations nouvelles non lues).

Par ailleurs, pour être informé d’une nouvelle annotation sur une page web, dans le cadre d’un groupe par exemple, il suffit de cliquer sur « View group activity and invite others » depuis la fenêtre d’annotation. On accède alors à la liste des annotations accessibles au groupe.

Perspectives

Le billet de blog de Hypothesis du 24 février 2017, Annotation is now a web standard, explique que selon les recommandations du groupe de travail W3C, les annotations du web sont destinées à devenir une fonctionnalité « native » de tous les navigateurs. Ainsi Hypothesis comme beaucoup d’autres outils d’annotation – citons Genius web annotator par exemple ou Pundit Annotator qui offrent aussi des fonctionnalités intéressantes – sont en évolution constante afin de répondre à cet objectif.

On peut consulter le tableau de bord des améliorations et fonctionnalités à venir chez Hypothesis à cette adresse : https://hypothes.is/roadmap/

Notons également que Hypothesis développe régulièrement des plug-ins pour répondre à des besoins spécifiques.

Synthèse des fonctionnalités de Hypothesis

Fonctionnalités Commentaires
Est-il possible d’avoir des annotations privées ? Oui
Est-il possible de partager les annotations au sein d’un groupe privé ? Oui
Peut-on récupérer les annotations ? si oui comment ? Oui via l’API. On fait la recherche à partir du site de Hypothesis. Les format proposés sont html, csv, text, markdown. L’équipe cherche cependant à mettre en place une manière plus facile et plus intuitive de récupérer les annotations.
Hypothesis fonctionne-t-il sur un site en accès restreint ? Oui
Peut-on gérer les comptes d’un groupe d’utilisateurs et donner à ces utilisateurs un accès à Hypothesis sans qu’ils n’aient besoin de se loguer eux-mêmes (dans le cas d’un site qui serait déjà en accès restreint) ? Non La fonctionnalité n’est pas offerte actuellement, elle est en cours de développement. Mais il est possible d’adapter Hypothesis aux besoins d’un site web : http://h.readthedocs.io/en/latest/publishers/authorization-grant-tokens/#term-client-secret
L’éditeur de contenu est-il informé automatiquement lorsque le contenu qu’il publie a été annoté ? Non La fonctionnalité n’est pas offerte actuellement. Il est cependant possible de faire une recherche sur le site d’Hypothesis (avec l’URL du site par exemple)
Est-il possible d’annoter une figure (image, carte, etc.) ? Non On annote seulement la page sur laquelle l’image, la carte, etc. apparaît.
Est-il possible d’annoter un fichier Pdf ? Oui Il faut ajouter une extension dans certains cas. Attentions: Il n’est pas toujours possible de retrouver l’annotation en contexte à partir du site Hypothesis.
Est-il possible d’afficher les dernières annotations concernant un site web, par exemple sur la page d’accueil ? Oui En s’abonnant à un flux rss
Est-il possible de savoir quelles pages ont été annotées ? Oui En se connectant à son compte sur Hypothesis. On peut avoir un indicateur aussi avec Chrome


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